« Pour un accompagnement spirituel sain », tel était le titre de l’atelier proposé par Aurelien Castelain, pasteur à Lille (Triolo) au dernier congres CAEF. En voici les grandes lignes et de nombreuses références bibliographiques ou citations pour aller plus loin !

« La direction spirituelle est un art de la pastorale, « l’art des arts » au dire de Grégoire le Grand[1] (…) Elle est aussi un charisme, un don spirituel qui profite à l’église et à ses membres[2]« . Toutefois, même si nous sommes doués pour cela, il est bon de définir la nature, les particularités et les « voies » à emprunter pour une direction spirituelle saine afin :
  • d’être de plus en plus fructueux pour le royaume
  • et d’éviter les abus en tout genre, pour la gloire de Dieu dans son Église.

Spécificités de l’accompagnement spirituel-pastoral[3]:

  • Il est personnalisé, individuel mais lié à l’Église, il s’appuie sur le reste de la vie de l’Église. Il n’est pas déconnecté de la communauté. « Le lieu où l’espace spirituel dans lequel se situe la tâche de diriger les âmes demeure en tout le temps l’Église, qui est « l’unitas Spiritus Sancti », disons la communauté des croyants formée dans l’Esprit saint.(…} le guide spirituel quels que soient ses dons charismatiques, agit seulement comme un instrument de cette Eglise[4]« {…}. Cet accompagnement se situe donc au sein de la communauté chrétienne de tout un ensemble de «lieux» et de «réseaux» communautaires dans lesquels les croyants bénéficient d’encouragements, d’exhortations, de secours (par la prédication, les études bibliques, les groupes de maison etc..,.). Par cette prise de conscience, je me protège entre autres, contre le sentiment de toute puissance qui pourrait me faire croire et faire ressentir à l’accompagné que je suis indispensable.
  • Les personnes se trouvent dans une situation particulière, ils sont frères et sœurs en Christ.Dans ce type d’accompagnement, le frère, la sœur sont censés recevoir la compassion et l’amour fraternels qu’ils ne pourront pas avoir dans une relation avec un professionnel ! Il y a le Christ entre nous[5] .
  • Le cadre est théologique, tant dans l’analyse du problème que dans la solution Et cela définit les « outils » : prière, écoute, Bible, compassion etc… Nous ne sommes (pour la plupart) pas des thérapeutes, à chacun sa spécificité !
  • Pas de paiement financier ou en nature, l’entretien est gratuit, il est la manifestation simple et concrète de la gratuité de l’Evangile ! « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mat 10,8).

Raisons et objectifs de l’accompagnement spirituel

Les raisons Ecoutons Joseph Stierli : « La nécessité de la direction provient de la nature même de la vie spirituelle. Certes, sous son aspect fondamental, la vie spirituelle est divinement simple : elle est la vie en Dieu Trinité par la grâce de la Croix et à l’imitation du Christ. Mais cette simplicité ne se rencontre, en fait, que dans les débuts, ou la vie de foi encore en germe reste relativement pauvre, et au terme, où elle est riche d’une sainteté parvenu à sa pleine maturité. Entre ces deux pôles l’évolution comporte des échelons plus ou moins compliqué, des crises de croissance, des errements et des obscurcissements, à travers lesquels seuls un guide éprouvé peut indiquer la route à suivre (…) Dans ses manifestations les plus hautes, la vie spirituelle ressemble souvent au parcours d’une crête, entre d’affreux précipices ; le refus d’un guide sur deux pareils sentiers friserait la témérité, sauf bien sûr dans le cas de faveur exceptionnelle, où Dieu lui-même prend ostensiblement la direction immédiate de la marche[6] » » Pour comprendre les différentes phases que nous pouvons passer dans notre vie chrétienne, il est possible de se référer à un livre, certes écrit il y a quelques temps mais toujours aussi pertinent : « les crises de la foi[7]». Les objectifs Alexandre Vinet[8] dira ceci dans sa théologie pastorale : « Nous les accompagnons pour aller plus loin et approfondir leur relation avec Dieu et la cohésion spirituelle de leur existence (…) pour mieux comprendre les Ecritures, pour mieux pratiquer la foi, avancer dans la consécration (…) descendre plus profondément dans cette relation au Seigneur présent avec nous et en nous[9]  » . Nous les accompagnons également dans l’expérience de l’absence de Dieu dans ce que les mystiques du Moyen Age ont appelé « la nuit de l’âme »(…) Elle peut être provoquée par une épreuve extérieure, mais aussi par une crise intérieure[10]« .

Sources et fondements bibliques de l’accompagnement spirituel-pastoral

  • Dieu nous accompagne « Il est important « pour l’accompagnateur et pour l’accompagné de savoir que le vrai Dieu est un Dieu qui accompagne et cette conviction est à la base de la foi biblique. Parce que Dieu accompagne sa créature, parce qu’il est présent et actif à chaque instant de son existence, à chaque mouvement de son cœur, l’homme peut se mettre en quête de lui, chercher à savoir ce que Dieu fait dans sa vie et ce qu’il veut faire[11] Jésus se présente d’ailleurs comme le premier des accompagnés : « Voici, l’heure vient, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et où vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul,  car le Père est avec moi »(Jn 16.31).
  • Jésus est l’exemple suprême pour celui qui accompagne. Disons que les Évangiles qui témoignent de la vie de Jésus et de son accompagnement envers les disciples mais aussi de ses rencontres avec des personnes fragilisées sont une source inépuisable pour l’accompagnement spirituel et des balises qui nous indiquent le chemin à suivre ! Jésus est l’accompagnateur par excellence ! « L’accompagnement de Jésus n’est pas seulement la présence d’une force inébranlable, plus puissante que tous les accidents. Il est l’éclairage d’un regard parfaitement pur, sans faiblesse devant les illusions et les fautes, sans réticences pour accueillir la foi, sans réserves dans le don de sa personne[12]« .Disons quand même qu’accompagner à la manière de Jésus, personne n’en est capable. Connaître avec cette sûreté, toucher avec cette justesse, être tout ensemble celui qui suscite la foi et celui qui l’accueille, mettre dans la vérité sans enfermer dans le désespoir, il faut le regard et l’intention du fils de Dieu pour atteindre l’homme dans le secret de sa liberté[13]« .Bref, si personne ne peut donc accompagner à la manière inimitable de Jésus, nul ne peut accompagner qu’à la lumière de Jésus-Christ, dans la vérité de l’Évangile [14]« .

Les essentiels de l’accompagnement « pastoral »

  • La magnanimité[15] Disons le, l’accompagnement pastoral-spirituel ne doit jamais devenir un simple devoir mais il doit être imprégné d’amour pour l’autre à la lumière de l’amour du Christ pour nous (cf 1 P 5 v2-3), Christ pour parler à la manière de Soren Kierkegaard est « la mesure ». Jean LAPLACE dira à ce sujet : « la magnanimité doit se tenir au-dessus des variations de l’existence, ne pas se laisser enfermer par la petitesse de jugement, ne faire valoir aucun privilège (…) et content, si le bien désiré se fait par un autre. Ils arrivent que les directeurs[16] se montrent tatillons, inquiets, inquisiteurs, susceptibles (…) Ils se croient sans cesse dans l’obligation d’intervenir. Ils courent après les rencontres plus que ceux qui en sont l’objet ne les désirent. Ils ne savent pas laisser partir. Cela vient parfois (…)  d’une absence d’amour vrai (…)[17]« 
  • Silence-Observation-Ecoute N’oublions pas que Jésus sur le chemin d’Emmaüs a d’abord fait silence, les a observé, les a écouté en leur en posant des questions pour ensuite les enseigner.Dietrich Bonhoeffer dit à ce sujet   : « De même que le commencement de notre amour pour Dieu consiste à écouter sa Parole, de même le commencement de l’amour du prochain consiste à apprendre à l’écouter. C’est le propre de l’amour de Dieu pour nous qu’il ne nous donne pas seulement sa Parole, mais qu’il nous prête aussi son oreille. Ainsi, c’est donc son œuvre que nous accomplissons envers notre frère lorsque nous apprenons à l’écouter. Certains chrétiens, et en particulier les prédicateurs, se croient toujours obligé « d‘offrir quelque chose[18] » lorsqu’il se trouve avec d’autres hommes comme si c’était leur seul service. Ils oublient le fait qu’écouter peut-être plus utile que parler. Beaucoup de gens cherchent une oreille qui veuille les entendre, et ils ne la trouvent pas chez les chrétiens parce que les chrétiens se mettent à parler là où ils devraient savoir écouter[19]« . Charles Nicolas dira aussi que : « Écouter signifie qu’on offre à la personne la possibilité de dire ce qu’elle désire peut-être dire depuis longtemps sans l’oser, sans l’interrompre, sans apporter de commentaire, simplement en l’invitant délicatement à aller plus loin, si elle le souhaite. Cela peut se faire en plusieurs étapes. Permettre à une personne de dire avec ses mots ce qui est au fond de son cœur n’est pas seulement une démarche de communication ou un travail de nature psychologique. Cela peut aussi être une démarche spirituelle : une mise en lumière qui permet à Dieu de révéler sa grâce. « Tant que je me suis tu, mes os se consumaient » (Ps 32.3; voir 1 Jn 1.5-10)[20]« .Par ma capacité à écouter, je laisse également la personne développer sa pensée. Je l’entends alors, dans ses besoins et dans ses attentes. L’écoute n’est pas forcément totalement silencieuse, elle peut être rompue pour poser une question qui va aider l’accompagné à aller plus loin dans son développement et ses réflexions. L’écoute me permet aussi de prier afin que Dieu m’aide à entendre, à comprendre, et à bien parler ensuite. L’écoute va me permettre également de me demander si je suis la bonne personne pour ce frère, cette soeur, si je suis compétent ou si je devrais plutôt la diriger vers un autre chrétien, une autre chrétienne de l’Église et/ou un spécialiste (psychologie, psychiatre). Comprenons que nous ne pouvons pas tout écouter, nous avons nos limites personnelles en lien avec notre histoire il convient de les connaître et de passer la main. Isabelle le bourgeois dit : « Tout le monde ne peut pas tout écouter et il est, alors, encore plus nécessaire de repérer ce qui nous anime quand nous écoutons pour ne pas être débordé par nos émotions ou risquer d’entrer dans une écoute où nous n’avons plus les bons outils[21]« .

« C’est dur le silence. Parce qu’après le silence, on ne peut pas dire n’importe quoi[22]« 

  • Parole (Bible) Dans un accompagnement il y a bien évidemment la place pour la parole et particulièrement pour une Parole biblique. C’est la spécificité de l’accompagnement spirituel-pastoral par contraste avec l’accompagnement proposé par d’autres conseillers dans le monde. Dietrich Bonhoeffer a dit : « Là où des chrétiens vivent ensemble, on doit d’une manière ou d’une autre, à un certain moment, arriver au témoignage personnel, l’un envers l’autre, touchant la Parole et la volonté de Dieu (…) Il n’est pas chrétien de refuser délibérément d’exercer à l’égard d’un frère cette forme décisive du service (…) Notre entretien reste orienté (ainsi) vers le secours dont nous avons besoin l’un et l’autre. Nous nous montrons le chemin que le Christ nous enjoint de suivre. Nous nous mettons mutuellement en garde contre la désobéissance qui est notre perte. Nous sommes doux et nous sommes durs l’un envers l’autre, parce que nous connaissons la bonté et la sévérité de Dieu.[23] »Dieu a mis sa Parole dans notre bouche il veut qu’elle soit dite par nous pour le salut de notre frère (Jc 5.20). Je démontre ainsi concrètement mon état d’esprit, je démontre que :
    • je ne cherche pas ma propre autorité,
    • je suis soumis à l’autorité de la Parole de Dieu,
    • je suis un serviteur pour mon frère.
    Placer la Parole au centre de notre entretien par le fait de se référer constamment à elle dans nos interventions permet aussi lorsque l’accompagné se tourne trop vers notre service, nous percevant parfois comme « la personne providentielle » qu’il se tourne à nouveau vers la véritable source de sa consolation et de celui qui peut réellement le sauver, c’est à dire Dieu seul qui agit au travers des Ecritures.
  • Prière « La vie de l’assemblée du Christ doit être portée par la prière communautaire, (Cf Mat 6.9s;  Lc 21.36; Eph 6.18; 1 Tm 2.1s) qui démontre concrètement la totale dépendance de l’Église envers son Sauveur et son Seigneur[24]« .

Nos prières manifestent également que notre Dieu, notre Père est là et qu’Il nous écoute. Il est présent par son Esprit, par sa Parole mais aussi par l’expérience de la prière.

Bref, l’accompagnement spirituel-pastoral permet l’installation d’un environnement propice pour prier ensemble. Il rend d’ailleurs évident en fonction des situations que nous rencontrons le besoin vital de passer du temps dans la prière tant nous sommes souvent dépassés.

Les règles déontologiques dans l’accompagnement pastoral pour se protéger contre les abus spirituels

Définition de l’abus : « C’est quand quelqu’un utilise sa fonction, sa position la confiance que lui accorde sa victime, ou un discours spirituel, pour parvenir à ses fins[25]« . Isabelle Le Bourgeois religieuse et psychanalyste à Paris définit ce qu’est un abus et comment il se met en place, elle dit : « l’abus et la mise en acte d’une emprise. Il y a d’abord l’emprise, l’abus et la conséquence de l’emprise ». « La victime de manipulation psychologique se retrouve sous emprise parce que la personne qui les manipule utilise les leviers à sa disposition pour les amener là où elle veut. Elle utilise leurs croyances en leur inculquant de nouvelles pour que ce système de pensée ne laisse pas d’échappatoire. Évidemment les personnes qui utilisent la Bible dans ce sens possède une arme redoutable mais à chaque milieu ses ressorts[26]« . Quelques conseils pour se protéger de commettre un abus :
  • Prise de conscience Attention : matière nucléaire/terrains dangereux ! « Nous manipulons des matières nucléaires parce que Dieu, le royaume, l’absolu, la sainteté et même le bonheur sont des notions d’une extrême puissance qui peuvent mobiliser ceux à qui nous parlons de manière extraordinaire mais qui peuvent du même coup engendrer chez eux des dégâts considérables[27]« .

Au sujet de l’accompagnement spirituel : « Nous le savons maintenant avec clairvoyance, c’est au cours des accompagnements spirituels, de la confession et dans les rapports d’autorité et de obéissance que les Abuseurs ont trouvé leur terrain favori pour perpétrer leurs crimes[28]« .

  • Croire que cela peut m’arriver « Du côté de l’accompagnateur, une première manière de lutter contre les risques d’emprise et d’abord de croire que cela peut arriver à quiconque. Personne n’échappe au désir de s’approprier un jour ou l’autre la conscience de quelqu’un. Les désirs d’évangéliser, de mettre sur le bon chemin, de donner une très bonne doctrine, de faire prendre de bonnes résolutions, d’être fidèle à l’église en sont souvent les meilleurs véhicules. C’est pourquoi la pratique d’une supervision est indispensable[29]« .

« Un accompagnement spirituel même inspiré des meilleures intentions peut dévier de sa finalité et progressivement déraper. L’accompagnement est même un terrain propice au développement d’une emprise sur la conscience, la pensée et les décisions d’une personne. Celle-ci abandonne toujours plus sa liberté à son accompagnateur qui a installé ainsi son pouvoir sur elle. À l’insu des deux bien souvent, car la confiance initial demeure voir s’accroit quand la personne accompagnée se sent prises en charge{…}et que l’accompagnateur a le sentiment d’accomplir sa mission. Mais cela devient un chemin d’abus de conscience et de pouvoir dont il est difficile de se relever[30]« .

Adrien Candiard dira : « Le problème ne vient pas des monstres et des pervers (…), il y a bien sûr ceux qui veulent exercer leur puissance, compenser leur frustration, vivre par procuration, soulager je ne sais quelle pulsion morbide de destruction. Mais il est aussi possible, quand on est quelqu’un de bien, avec les meilleures intentions du monde, de faire beaucoup, beaucoup de mal. C’est toujours le cas quand on confond les priorités[31]« . Rémi DEMAINDREVILLE dit à ce sujet : « Les risques d’emprise relève donc surtout des dispositions intérieures qui habitent chacun. L’écoute de l’accompagnateur peut être polarisé par des objectifs pastoraux{…} idéologique, qu’il fait peser sur la conscience de l’accompagné. Cela peut aller jusqu’à violer l’intimité de la relation de celui-ci avec Dieu, quand l’accompagnateur chosifie la volonté de Dieu et dénonce comme tentation tout ce qui va à l’encontre de son sentiment propre« .

  • Abus demandé « Le problème à l’exception des gens les plus mûrs c’est que « l’abus de conscience,  ils le demandent[32]« (…) Aux prises avec des questionnements vertigineux, souvent inquiétants, ils seraient apparemment très heureux qu’une parole d’autorité leur tombe du ciel non pour les aider à éclairer laborieusement leur conscience, mais pour la remplacer. Or les aider, ce n’est pas se couler dans cette demande, mais au contraire les aider à y poser des limites [33]« .

Comment se protéger des abus ?

  • Former et prévenir Former aux sciences humaines ! Globalement nous devons prendre conscience que nous avons besoin d’être formés a minima pour mieux accompagner les personnes de nos églises et/ou que le Seigneur place sur notre route. Nous plaidons ici pour plus de modules de formation dans ces domaines au sein de nos églises et nos instituts/facultés qui donneront à ceux qui se livrent à ce magnifique ministère de l’accompagnement, les outils de base qui sont nécessaires pour accompagner quelqu’un de manière spirituelle, respectueuse, convenable et efficace, pour la gloire de Dieu. C’est vrai que la Bible est la Parole de Dieu et qu’elle est utile en toutes choses mais, comme nous sommes convaincus qu’il faut toutefois bien la connaître et la comprendre pour bien l’utiliser nous devons être convaincus également que sans une bonne connaissance des mécanismes humains, connaître bien sa Bible ne sera pas toujours suffisant pour bien accompagner une personne.
  • Prévention Nos unions doivent aussi chercher à faire plus de prévention par le dialogue avec des personnes qui auraient des comportements « borderline ».
  • Comprendre que la conscience est un sanctuaire inviolable ! Adrien Candiard dit ceci sur ce sujet : « La priorité seule c’est que la personne qui se confie à moi d’une façon ou d’une autre, grandisse en liberté. Qu’elle aime Dieu plus librement, qu’elle écoute la voix de l’Esprit saint qui s’adresse à elle (et pas à moi). L’ennui c’est que moi, quand je la reçois, je veux être efficace. Je veux régler son problème, parce que je suis quelqu’un qui règle les problèmes. Avec moi, ça ne traîne pas. On sait pourtant que l’esprit saint prend souvent son temps et qu’une vie spirituelle authentique, précisément, ça traîne ou, du moins ça ne suit jamais les rythmes de croissance planifiés à l’avance (…) Grande et alors la tentation de pénétrer avec mes gros sabots dans la conscience qui s’ouvre à moi, pour régler le problème moi-même, surtout quand je vois bien ce qu’il faudrait faire. Il serait si facile de lui forcer la main, pour son bien ! (…)

En matière spirituelle plus qu’ailleurs, il ne sert à rien de tirer sur les carottes pour les faire pousser. Il ne sert à rien de forcer la main de quelqu’un pour qu’il agisse objectivement bien, qu’il fasse de bonnes actions, si il n’aime pas s’il ne choisit pas ce bien[34]« .

« Evidement, il est plus long et plus difficile d’accompagner à la liberté que le dire le permis et l’interdit mais c’est aussi vous en conviendrez nettement plus intéressant [35]« .

Rappelons-nous que nous sommes des accompagnateurs et qu’en ce sens nous sommes là pour diriger les entretiens sans être dirigiste. Il faut donc prier pour que Dieu nous aide à avoir la bonne distance ni trop près ni trop loin, en se souvenant que « la foi évangélique est celle de la décision libre et éclairée[36]« . Je suis là pour aider l’initiative et la décision de l’autre.

« Aider ne consiste pas à imposer un type de chemin plutôt qu’un autre, et pas davantage une méthode, un rythme ou une manière de marcher. C’est de leur propre gré que les disciples d’Emmaüs choisissent de retourner à Jérusalem[37]« .

  • Un accompagnement à durée limitée « Une direction humaine ne représente jamais qu’un secours extérieur ; elle doit même tendre à réduire toujours davantage sa propre nécessité. Plus une âme, devenue adulte et se possédant elle-même, peut agir librement avec celui qu’il l’a dirige dans la voix de son progrès, meilleur aura été, du moins sous cet angle, la direction dont elle a bénéficié[38]« .

Je dois éviter d’installer chez l’autre une dépendance à l’accompagnement et encore moins une dépendance à ma personne, même si cela flatte mon ego. Je souhaite que la personne accompagnée après une période où elle a eu besoin d’être aidée puisse continuer sa route sans moi mais toujours avec le Seigneur !

  • Lucidité sur les jeux psychologiques Un exemple des « pièges » nous est donné par Isabelle le bourgeois, bien utile pour l’accompagnement spirituel même si nous ne sommes pas dans le champ de la thérapie :

Je suis l’objet des attentes de l’autre. On me le renvoie sous forme de reproches ou de compliments. Je suis tour à tour celle qui est « tellement précieuse », celle dont on ne peut se passer, mais aussi celle qui déçoit, avec laquelle on n’avance pas vraiment, qui ne comprend pas…Tous ces effets du transfert et du contre-transfert sont à gérer en permanence en étant bien attentif sur ce que cela génère en moi. Le fait d’être bien au clair sur cela ou non sera en lien avec la qualité de liberté dans la relation. Il est facile de rendre l’autre très subtilement dépendant de moi en entretenant un lien de reconnaissance de gratification ou, au contraire, un lien de ressentiment non avoué. Il est plus facile qu’on ne le croit de garder l’autre « sous la main ». Sous prétexte que cela serait bon pour la thérapie. (…) L’autre peut devenir subrepticement, furtivement, quelqu’un à ma disposition, que je façonne, que je mène sur le bon chemin, que j’ai envie de sauver. Tout cela peut être fait au nom du bien, nous donner bonne conscience et ainsi continuer sans même nous apercevoir que le chemin pris n’est pas le bon. Si, en plus, l’accompagné en redemande (« vous m’avez tellement aidé comme j’ai de la chance de vous avoir « ) il est aisé de glisser du côté de la personne de référence, de préférence et d’être incontournable je cède à l’efficacité et n’entre plus dans le temps de l’autre.« 

Adrien Candiard a aussi des mots très pertinents sur ce sujet :

L’ennui c’est que moi, quand je la reçois, je veux être efficace. Je veux régler son problème, parce que je suis quelqu’un qui règle les problèmes. Avec moi, ça ne traîne pas. On sait pourtant que l’Esprit saint prend souvent son temps et qu’une vie spirituelle authentique précisément ça traîne ou, du moins ça ne suit jamais les rythmes de croissance planifies à l’avance. Je n’ai pas toujours la patience qu’il faut. J’ai peur qu’on me juge mauvais, puisque je ne règle pas le problème. Grande et alors la tentation de pénétrer avec mes gros sabots dans la conscience qui s’ouvre à moi, pour régler le problème moi-même, surtout quand je vois bien ce qu’il faudrait faire. Il serait si facile de lui forcer la main, pour son bien ! Je crois que les mécanismes diaboliques par excellence, c’est celui du raccourci : tu peux atteindre ton objectif plus vite, si tu t’arranges un peu sur les moyens[39]« 

           Pour finir, quelques pièges possibles (Selon Isabelle le Bourgeois)

    • Projeter sur l’autre, ses propres peurs, conditionnements, désirs…
    • Aller vers l’autre par la séduction, vouloir l’amener là ou nous pensons qu’il serait bon qu’il aille. Plus les personnes sont fragiles, plus elles sont prêtes à suivre et à croire… Rôde alors la tentation de la toute-puissance !
    • Fournir les réponses qui sont les nôtres, parce que nous avons du mal à sortir de notre référentiel
    • Ne pas laisser à l’autre le temps nécessaire à la maturation de ses questions (…)
    • Vouloir sauver l’autre à tout prix
    • Etre trop discret, en ne voulant tellement pas interférer que nous finisssons par ne plus être consistant face à l’autre
 
[1] (540-604)
[2] Joseph STIERLI, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.30.
[3] https://point-theo.com/accompagnement-pastoral-psychotherapies/
[4] Joseph STIERLI, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.31-32.
[5] Pour aller plus loin dans cette notion voir Dietrich Bonhoeffer, « de la vie communautaire », page 37-38.
[6] Joseph STIERLI, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.33-34.
[7] Linda Oyer/Scheitzer/
[8] Pasteur Suisse du 19 ème siècle
[9] Alexandre VINET, Théologie Pastorale, Paris, Éditeurs 47 rue de Clichy, 1854, p. 305-309.
[10] Jean-Claude SCHWAB, HOKHMA, numéro 79, 2002, P.64-65.
[11] Jacques GUILLET, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022,p.248.
[12] Ibid, p.250.
[13] Ibid, P.252
[14] Ibid, P.252
[15] (le sens étymologique de ce terme est « grand coeur »).
[16] Les accompagnateurs
[17] Jean LAPLACE, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, P. 59-60.
[18] Il parle ici d’une parole
[19] Dietrich BONHOEFFER, De la vie communautaire, Labor et Fides, p.85.
[20] https://www.ressourceschretiennes.com/search/contenu/accompagnement
[21]Isabelle LE BOURGEOIS, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p. 160.
[22] Michel KOBIK, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, P.239.
[23] Dietrich BONHOEFFER, De la vie communataire, Ed Labor et Fides,  P.91-92.
[24] https://caef.net/wp-content/uploads/2025/04/Fiche_pratique_template_ppt_1.pdf
[25] Christianisme aujourd’hui –  février 2025, abus sexuel, spirituel, de quoi parle-t-on, p.24-30
[26] Christianisme aujourd’hui
[27]Adrien CANDIARD, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p. 155.
[28] Ibid, p. 154.
[29] Remi MAINDREVILLE, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.184-185.
[30] REMI DE MAINDREVILLE, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.177.
[31]Adrien CANDIARD, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.188.
[32] Ibid, p.187.
[33] Ibid, p.187.
[34] Ibid, p.186.
[35] Ibid, p.186.
[36] Christianisme aujourd’hui Nancy Lefebre
[37] Remi de MAINDREVILLE, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.184.
[38] Joseph STIERLI, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.35.
[39] Isabelle LE BOURGEOIS, Christus N° 274 HS L’accompagnement spirituel, Mai 2022, p.159.

Vivre la déclaration commune

Les CAEF sont partie prenante de la déclaration commune des unions d’églises membres du Réseau FEF et désireuses d’être et vivre l’Eglise Une. Nous voici deux ans après ce temps fort vécu au séminaire de mars 2023*, autour de la table des dirigeants...